Lucile Olympe Haute
avec Tiphaine Kazi-Tani
2019

La lune des fraises

Comment faire des rituels dans un monde artificiel ? Comment traverser les gyres sémiotiques et les couches informationnelles, comment se détacher des ritournelles de la fable humaniste ? Si le feu de mille soleils blancs accélère ou consume nos connexions cosmiques et si une autre fin du monde est possible, comment cohabiter sur et avec la Terre ?

Lucile Olympe Haute des fictions qui changent le monde

Rituel collectif
Lundi 17 juin 2019 à 20h30
Rendez-vous de la pleine lune #5
Ateliers de la Senne, Bruxelles.

OÙ IL SERA QUESTION DE CÉRÉMONIE, DE MATIÈRE ET DE FIN DU MONDE

Lucile Haute Tiphaine Kazi Tani des fictions qui changent le monde

Comment faire des rituels dans un monde artificiel ?
C’est ce que nous voulons nous demander avec vous ce soir.
À quoi ça rime, de faire une rencontre de la pleine lune dans un espace urbain, dans un espace clôt ? Je sais ce que ça me raconte à moi, la pleine lune : ça me parle d’une échelle temporelle et physique qui n’est plus celle du quotidien, qui déborde mes échelles corporelle et temporelle. Ça me projette dans une échelle astronomique.

Nous sommes ensemble, à Bruxelles, et nous attendons la lune.
Qu’est-ce que nous cherchons ensemble, en attendant la lune des fraises ?

Avant que ne s’impose le calendrier moderne basé sur les révolutions du soleil, il était de coutume de se référer aux changements de saison en suivant la chronologie lunaire. Pendant des milliers d’années, les peuples européens et les tribus amérindiennes ont nommé les différentes lunes en fonction des caractéristiques qu’ils associaient aux saisons de l’hémisphère nord. La « pleine lune » est l’une de ces nominations. La pleine lune de juin est ainsi « la lune des fraises », parce qu’elle tire son nom des fraises des bois qui commencent à mûrir.

La lune se lèvera à 22h, sera pleine à 22h30 et se couchera à 06h30 demain matin. Il est [21h]. Nous sommes réuni·es pour attendre la lune.
Que sommes-nous, ensemble, pendant cette attente ?
Quel rituel, quelle question, quelle intention, orientée vers quelle transformation ? Nous renouons peut-être avec des pratiques ancestrales, archétypales, des pratiques magiques de l’être ensemble et de la représentation.
Une cérémonie.

Lucile Haute Tiphaine Kazi Tani des fictions qui changent le monde

Lucile Haute Tiphaine Kazi Tani des fictions qui changent le monde

Lucile Haute Tiphaine Kazi Tani des fictions qui changent le monde
Lucile Haute Tiphaine Kazi Tani des fictions qui changent le monde
« Les images, les symboles, créent des conditions internes (des attitudes et des sentiments profondément enracinés) qui conduisent les gens à se sentir à l’aise ou à accepter des arrangements sociaux et politiques qui correspondent au système symbolique. » (Carol P. Christ)

Nous vivons au milieu d’une masse de déchets sémiotiques, de messages, de textes et de codes usagés dont nous ne pouvons nous défaire. Cela se constate pour tout type de messages, et donc aussi pour ceux qui sont véhiculés par ces supports signifiants particuliers que sont les objets. Si le système des objets est un continuum de surfaces communicatives, il n’est pas dit pour autant qu’il communique quelque chose. En proliférant de façon incontrôlée, la plus grande variété de formes, de couleurs et de textures peut déboucher sur le plus gris des mondes.
Lucile Haute Tiphaine Kazi Tani des fictions qui changent le monde
La fin du monde a déjà eu lieu. Nous pouvons indiquer avec une précision invraisemblable la date à laquelle le monde a pris fin. C’est arrivé en avril 1784 lorsque James Watt fit breveter la machine à vapeur, acte qui inaugura le dépôt massif de carbone dans la croûte terrestre : c’est là que l’humanité est devenu une force géophysique à l’échelle planétaire. Le monde a pris fin en 1945 à Trinity, Nouveau-Mexique, quand la première bombe atomique appelée Gadget explosa dans le désert, vitrifiant le sable à une température cosmique, inscrivant dans les couches géologiques les conséquences matérielles de la fureur énergétique des atomes qu’on démembre.
Lucile Haute Tiphaine Kazi Tani des fictions qui changent le monde
Sur le site d’essai nucléaire de Trinity, la chaleur de 10 000 soleils a transformé le sol en une pâte de verre verdâtre, le premier minerai créé par l’action d’un artefact humain. La trinitite est notre pierre philosophale.
De toute évidence, la planète terre n’a pas explosé. Mais le concept de monde n’est plus opérationnel. Nous devons au pétrole d’avoir creusé un trou dans la notion même de monde. Un trou poisseux comme une flaque de goudron.

« Le groupe de recherche considère pour l’instant l’Anthropocène comme une possible époque géologique, c’est-à-dire placée au même niveau hiérarchique que le Pléistocène et l’Holocène, ce qui implique qu’elle est située dans la Période Quaternaire, mais que l’Holocène est terminé. »

La chose la plus difficile à apprendre à un enfant de trois ans est ce qui est vivant et ce qui ne l’est pas. Le téléphone sonne et vous le tendez à votre enfant et vous dites : « C'est Mamie. Parle à Mamie. » Mais vous tenez un morceau de plastique. Et là, le gamin se dit : « Attends une minute. Est-ce que le téléphone est vivant ? Est-ce que la tablette est vivante ? L’ordinateur ? Qu'est-ce qui est vivant dans cette pièce et qu'est-ce qui ne l’est pas ? »

« Il y a trente ans, quand j’ai intégré le MIT, je m’intéressais à ce que j’ai appelé par la suite “l’histoire intime des appareils”. Je découvris que les ordinateurs suscitaient des conversations érudites. Ils faisaient entrer la philosophie dans la vie quotidienne et transformaient les enfants notamment en philosophes. Ils cherchaient non seulement à savoir si les ordinateurs étaient vivants et réfléchissaient différemment des êtres humains mais aussi ce qui leur conférait un statut à part, maintenant que les machines étaient devenue intelligentes. Déborah, 13 ans, avait étudié la programmation pendant 1 an. Quand elle travaillait sur l’ordinateur, m’expliquait-elle, il y avait un petit bout de son cerveau "qui devenait un petit bout du cerveau de l’ordinateur". » (Sherrie Turkle)

La manière dont fonctionne l’électronique engendre une crise de la rationalité et des instruments classiques et en développe d’autres, sensoriels et intuitifs. Devant les medias électroniques, les parcs de loisirs, les espaces conviviaux, la prolifération des formats compatibles de la socialité, nous nous trouvons pauvres et démunis, tel un rat de laboratoire condamné à un parcours immuable dans une cage parsemée de morceaux de fromages. L’humain perçoit l’instrument électronique silencieux et immédiat comme un prolongement de son propre organisme, comme une réalité avec laquelle il peut dialoguer de manière quasi-instantanée, en posant des questions et en obtenant, ce qui est très important, des réponses dans son propre langage.

De nos ancêtres antiques, ne nous sépare qu’une succession de 40 grands-mères — si l’on entend par grands-mères une femme de cinquante ans portant dans ses bras un nouveau-né. La différence entre leur condition et la nôtre résulte de la transformation des références, de l’interface, et non des comportements. Leur expérience se réalisait dans la rencontre avec l’humain. La nôtre se tient dans la rencontre avec les objets. L’univers avec lequel nous nous trouvons en contact est un système d’objets. Ils ont une présence pleine et extensive qui fait écran et remplace l’humain lui-même.
Lucile Haute Tiphaine Kazi Tani des fictions qui changent le monde
« C’est le capitaine qui vous parle - nous perdons de l’altitude.
Nous perdons de l’altitude tou·tes ensemble.
 » (Laurie Anderson)